Essentielle Marguerite

La question de la toxicité des huiles essentielles revient très souvent dans vos messages. Il n'est jamais simple d'établir des listes exhaustives, les informations issues de dizaines d'études menées dans le monde et au fil du temps sont éparses et demandent à être analysées avec beaucoup d'attention. Un tel travail de recensement et de synthèse a été mené, notamment, par R. Tisserand et R. Young, et publié en 2014 dans un ouvrage, Essential Oil Safety, qui reste à ce jour la référence majeure sur le sujet. Les données proposées ici sont directement issues de cet ouvrage, qui n'existe pas en version française.

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1. Faut-il se détourner complètement des huiles essentielles potentiellement toxiques ?

La réponse est simple : non. Un potentiel implique une possibilité, notamment dans le cas d'un mauvais usage, de la non-prise en compte des conditions initiales et du terrain de la personne qui les utiliserait, de la non-connaissance ou méconnaissance des interactions possibles entre les molécules des huiles essentielles concernées et certains médicaments ou autres substances, etc.

Les huiles essentielles, dans ces cas précis, sont effectivement dangereuses. Mais pour être plus juste, il faudrait formuler ça autrement : celles et ceux qui les utilisent n’importe comment peuvent en effet être dangereux·ses. Les huiles essentielles, en soi, pas du tout !

C'est pour cette raison qu'il est plus qu’utile et important de s'adresser à un·e (vrai·e) spécialiste lorsqu'on envisage l'utilisation de telle ou telle huile essentielle, si l'on sait qu'on a un terrain “à risque” au regard de ses toxicités potentielles. Avec un dosage, des conditions d'utilisation définis avec précision, une bonne connaissance du terrain de la personne concernée et un suivi sérieux, beaucoup de ces huiles essentielles sont utilisées régulièrement en aromathérapie.

Dose et dosage, la nuance…

Il importe de connaître la différence entre “dose” et “dosage”, qui ne s'utilisent pas indifféremment. Le dosage des huiles essentielles, c'est le fameux pourcentage que vous mesurez pour vos synergies (avec ou sans huile végétale). Alors que la dose représente la totalité de la présence de telle(s) molécule(s) dans votre organisme. Elle tient compte notamment, le cas échéant, des autres substances qui la ou les contiennent et qui ont pénétré votre système. L'exemple le plus parlant est évidemment la combinaison des molécules d'une huile essentielle avec un traitement médicamenteux. L'ensemble des molécules semblables absorbées constitue la “dose”, qu'il est très difficile d'évaluer en auto-médication.

2. Les huiles essentielles : des mélanges extrêmement complexes

Deux écueils majeurs sont très difficiles à contourner lorsqu'il s’agit de la toxicité potentielle des huiles essentielles. 

Des compositions très complexes

Contrairement aux médicaments de synthèse, qui sont composés, dans la majorité des cas, d'une seule molécule destinée à une cible particulière, les huiles essentielles sont des mélanges de plusieurs composés, plusieurs centaines souvent. 

D'une part, on ne connaît pas toujours l'action réelle et individuelle de chacun de ces composés. Certains même, parfois, sont en quantités tellement réduites qu'ils ne sont pas identifiés. Ce qu'on sait pourtant, c'est que même en quantité réduite, une molécule peut avoir une réelle action : c'est le cas, par exemple, des molécules qui provoquent la phototoxicité (voir Les huiles essentielles à potentiel phototoxique) même lorsqu'elles sont très peu nombreuses dans une HE.

Addition, synergie et antagonisme

Même lorsqu'on a identifié l'action individuelle de ces molécules, le problème reste entier. On sait que ces molécules différentes agissent les unes sur les autres. Mais les chercheurs sont loin d'avoir réussi à déterminer comment et dans quelle mesure exacte cette interaction influence leurs effets. 

Par exemple, on a souvent constaté que si une huile essentielle donnée contient des molécules potentiellement toxiques, elle renferme aussi d'autres molécules qui ont un effet protecteur contraire. C'est, schématiquement, ce qu'on appelle l’“antagonisme”. L'effet toxique est contrarié, diminué par ces autres molécules.

À l’inverse, l'effet protecteur de certaines molécules peut être augmenté par d'autres molécules qui, pourtant, n'ont pas elles-même cet effet. C'est ce qu'on appelle l’“addition”. Leurs effets, même différents, se conjuguent, s'allient pour augmenter telle action globale de l'huile essentielle. Ou bien leur action ensemble en provoque une troisième qu'on ne prévoit pas forcément lorsqu'on ne se base que sur l'action individuelle des molécules concernées.

Enfin, 3e interaction possible : plusieurs molécules qui ont le même type d’effet particulier se renforcent entre elles. C'est ce qu'on appelle le phénomène de “synergie”. Vous connaissez sans doute ce terme, utilisé fréquemment lorsqu'on vous indique des mélanges d'huiles essentielles pour tel ou tel problème. Mais il faut retenir qu'une huile essentielle représente en elle-même une “synergie” : les essences que produisent les plantes sont le résultat d'une “expérimentation” sur des milliers d'années. Sans compter que ce que les humains en font, après distillation, peut modifier, même légèrement, les résultats initiaux obtenus par cette "expérimentation” naturelle, qui visait une action précise pour les plantes…

L'organisme humain, tout aussi complexe !

Un autre élément vient compliquer la tâche : l'élément humain, qui n'est pas le moindre !

Si les aromathérapeutes (quel que soit le nom qu'on leur donne chez vous selon la législation en vigueur) insistent, avec obstination, sur le fait qu'il est impératif d'adapter un conseil en aromathérapie à la personne concernée lorsqu'elle est en face de vous, ce n'est pas juste par principe. Ou lubie. Ou volonté de vous obliger à les consulter contre espèces sonnantes et trébuchantes. 

Si la complexité des huiles essentielles rend difficile la prédiction quant à leurs effets, il faut ajouter à cela cet autre facteur : même si nos organismes ont globalement le même fonctionnement, la même structure, ils sont tous très différents. Et vous le savez bien ! Sinon, nous aurions tous et toutes exactement les mêmes maladies, nous réagirions tous et toutes de la même façon aux traitements médicamenteux. Les médecins ne pourraient jamais être (parfois un peu vite) accusés de se tromper…

La nécessité impérieuse d'adapter avec précision un conseil d'aromathérapie à une personne précise, sur le terrain, c'est tout bêtement parce que deux personnes différentes auront des réactions différentes, en fonction de leur histoire propre. Aussi basique que ça. Et sans un travail et un suivi sérieux, on n'a pas de vrais indices sur l'effet qu'une huile essentielle ou une synergie peut réellement provoquer.

3. Des méthodes d'expérimentation à adapter ?

L'expérimentation sur les huiles essentielles, ou leurs composés, se fait de la même façon qu'on teste les médicaments et leurs composés de synthèse. Et ce sont souvent des petits animaux de laboratoire qui en font les frais. Mais on constate, de plus en plus souvent, que ce qui se produit sur ces petits animaux auxquels on injecte ou applique des doses massives d'huiles essentielles – des doses que ne s'infligerait jamais aucun humain – donne des résultats qui ne sont pas comparables ou transférables avec ce qui se produit sur un organisme humain. Et même sur plusieurs organismes humains, très différents dans leurs réactions.

La plupart de ceux qui ne voient qu'un effet “placebo” – négligeable ? c'est peut-être bien une conception, là aussi, à remettre en question ! – dans l'action des huiles essentielles réclament en général, à corps et à cris, des “preuves scientifiques”. Il en existe, un certain nombre, que les détracteurs font d'ailleurs souvent le choix d'ignorer purement et simplement. Mais la question peut se poser autrement : le système d'expérimentation et de test, très adapté pour les créations chimiques humaines, est-il suffisant, adéquat, “universel” lorsqu'il s'agit de la complexité des huiles essentielles ? N'y a-t-il pas là une évolution à prévoir ?

4. Il n'y a pas de “recettes” universelles, b… (ça rime) !

Parce que nos réactions sont très différentes d'un individu à l'autre, les choses peuvent vite se compliquer quand il s'agit d'indiquer les “bonnes” huiles essentielles pour tel ou tel problème. C'est déjà le cas avec les médicaments de synthèse, pourtant développés avec une molécule unique testée sur une cible unique. Alors vous imaginez bien que face à des huiles essentielles aussi complexes, il ne peut en aucun cas y avoir de solution universelle !

Les sites qui se consacrent aux huiles essentielles et les groupes dédiés sur les réseaux sociaux fourmillent de “recettes”. Le plus souvent, ces “recettes” répondent à une question simpliste : j'ai tel problème, telle affection, quelle recette ? Et les réponses fusent, souvent lapidaires : un nom d'huile essentielle, parfois un tout petit commentaire (“c'est top !”), et voilà.

On vous renvoie parfois à tel ou tel recueil de “recettes” toutes faites, proposées par un nom connu. Il y a même des groupes où des personnes qui se présentent comme naturopathes ou spécialistes donnent ce qui s'apparente à des consultations virtuelles. Enfin, consultations… on vous y demande le minimum d'informations, et on vous y indique aussitôt une série d'HE et de dosages pour votre problème. Et on y ajoute aussi parfois, de façon un peu lapidaire, quelques contre-indications. Sans aucune nuance. Sans rien savoir de vous.

En fait, on y invente au jour le jour une sorte de prêt-à-porter de l'aromathérapie. À la “petite” différence qu'un costume, même mal taillé, ne risque pas de compromettre votre santé ou votre équilibre interne, à plus ou moins longue échéance. On s'y félicite régulièrement du nombre de consultations virtuelles qu'on y donne avec beaucoup de sérieux… Ce qui n'empêche pas, de temps en temps, de rappeler qu'en aromathérapie, il faut du sur-mesure. On n'y est pas à une contradiction près ! Honnêtement, c'est proprement fascinant.

Vous informer, sans “gourou”

Alors tout ce qu'on peut faire, c'est continuer à conseiller de s'informer réellement, le plus possible, sur ce qu'on sait, et ce qu'on ne sait pas toujours, des huiles essentielles. D'apprendre à connaître et à utiliser chacune d'entre elles, petit à petit, et de vérifier de quelle façon, exactement, elle fonctionne en synergie avec vous, qui êtes unique. 

En ce qui concerne les toxicités potentielles, sur lesquelles il faut bien sûr s'informer du mieux possible, il ne suffit pas de noter rapidement, face au nom de telle huile essentielle, une simple mention qui n'a aucun sens en soi. Il est important de savoir qu'il s'agit de toxicité potentielle, détectée souvent dans un contexte d'expérimentation in vitro (dans un laboratoire, dans des disques Petri ou sur des rats), à des dosages souvent très élevés. Rarement – pour l'instant ? – sur des êtres humains. 

L'exemple le plus parlant est sans doute celui des huiles essentielles soupçonnées être abortives. Il se peut qu'elles le soient, mais jusque-là, on n'en a pas la preuve détaillée dans les faits. Et pour cause ! Vous imaginez une expérimentation sur une vraie personne ? Pas possible ! On applique en ce cas ce qu'on appelle le “principe de précaution” : on suppose que, on a un doute (plus ou moins étayé), donc on n'utilise pas. C'est un choix. Et c'est vous qui devez le faire, en étant informé·e de façon aussi complète que possible.

5. Données actuelles disponibles

S'informer, c'est bien joli, vous allez me dire, mais on ne sait pas toujours très bien où, auprès de qui, d'autant que les informations, selon les sources, sont parfois contradictoires. Et vous avez tout à fait raison ! Exemple typique de ces contradictions, l'huile essentielle de sauge sclarée, que beaucoup continuent de présenter comme œstrogène-like, malgré l'avis de nombreux experts internationaux… 

Donc à moins que vous cherchiez un gourou, qui vous dit exactement quoi faire et comment sans que vous posiez la moindre question, vous allez avoir un petit peu de travail. De réflexion, la vôtre, de comparaison des données, de croisement des informations.
Pour vous, pour votre santé, pour votre bien-être : c'est bien vous qui voulez en être responsable, non ?

Personnellement, je fais confiance à votre capacité à développer votre propre réflexion, à votre bon sens, à ce qu'on appelait autrefois votre “jugeotte". Vous n'avez pas encore tous les éléments, vous ne savez pas très bien quoi penser pour l'instant ? Normal. Prenez le temps, tranquillement. Vous êtes tout à fait capable de tirer vos propres conclusions, si vous vous y mettez. Sans compter seulement sur la réflexion des autres, qui la construisent pour eux-mêmes, pas forcément pour vous 😉

C'est pour vous aider à développer votre propre réflexion sur le sujet, sans réfléchir à votre place ni croire qu'il suffit de vous dire quoi faire, sans nuance, que ces articles sur les toxicités potentielles des huiles essentielles vous sont proposés. Essentielle Marguerite fait définitivement partie des instruments qui essaient de vous apprendre à pêcher, plutôt que de vous donner du poisson : à force, on espère bien que vous serez autonome dans votre utilisation des huiles essentielles, sans quelqu'un qui vous prenne par la main et vous dise quoi faire. 

Et pour terminer, temporairement, ce petit bout de présentation, deux petites citations que je laisse justement à votre réflexion. “Petites” par le nombre de caractères, mais énormes par leurs implications 😉 Celle de Louis Pasteur qui, après avoir promu longtemps l'idée contraire, aurait fini par déclarer : “Le microbe n'est rien, le terrain est tout." (?) Et celle de l'un de nos contemporains, médecin aromathérapeute, le Dr Pénoël : “La guérison n'est pas dans le flacon.” Bonne réflexion !

Mise en ligne 29 avril 2020

  • Le « prêt-à-porter de l’aromathérapie », c’est excellent et très juste ! Je vous emprunte l’expression, elle me resservira c’est certain. Et j’attribuerai à César, pardon, à Marguerite, ce qui lui appartient. Merci pour cette synthèse très percutante.

  • Melissa M. dit :

    Merci de remettre l’église au milieu du village. Ça n’est pas souvent le cas, c’est même assez rare. Alors ça fait du bien les raisonnements un peu sensés.

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