C'est cyclique : en fin d'année, ou en tout début, on vous ressort les cadeaux des rois mages ! Or, encens et myrrhe, autant de prétextes pour se mettre à vous détailler les huiles essentielles qu’on extrait des deux résines sur les sites dédiés à l'aromathérapie. Mais sérieusement, quel est le rapport entre ces mages, leurs résines, et l'intérêt des huiles essentielles aujourd’hui ?
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Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil.
Qohelet, Ecclésiastes 1:9
I. Des rois mages en veux-tu en voilà !
Une représentation byzantine des Rois mages (526 de notre ère),
Basilique Sant'Apollinare Nuovo, Ravenna (Italie)
C’est la saison phare en Occident pour parler de deux résines qui nous viennent d’Orient. Les articles se multiplient sur les cadeaux que les fameux mages auraient apportés à l’enfant né dans une étable. Outre qu’il y a quand même beaucoup d’incertitudes et d’inconnues sur la véracité de cet événement, sa dimension symbolique prend quand même le pas sur le factuel. Qu’il est d’ailleurs impossible de démontrer. Des mages sont-ils venus ou non, en fait on n’en sait rien. Et puis, le scripteur original, Matthieu, le seul à en parler, n’en dit pas grand-chose. Vraiment pas grand-chose, jugez vous-même :
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Évangile selon saint Matthieu 2:9-12
C’est tout ? Oui, c’est bel et bien tout. Ce sont des raisons politico-religieuses qui ont amené les successeurs à amplifier ces quelques phrases, à dénombrer les mages, à leur donner un nom… quelques centaines d’années plus tard !
Mais alors, quel rapport ?
Je comprends que vous vous posiez la question, je me suis posée la même. J’ai eu beau lire et relire tous ces articles, avaler des lignes et des lignes sur rois-mages-myrrhe-encens sur des blogs (en majorité anglophones, d’ailleurs) estampillés “aromathérapie”, aucun ne m’y a fourni la moindre explication sur le lien réel entre cet événement et l’aromathérapie. Parce que si on devait relier à l’aroma tous les événements de l'histoire, attestés ou non, où l’on cite l’une ou l’autre des résines, sérieusement, on ne serait pas sorti de l’auberge. Ou de l’étable, comme vous voulez…
Alors oui, la question, ça reste bel et bien : ok, mais c’est quoi le rapport ? Ça nous sert à quoi de savoir ça en aromathérapie aujourd’hui ? Eh bien, le rapport, le lien, à mon humble avis, c’est bien ailleurs qu’il faut aller le chercher. Et vraiment pas besoin des mages pour ça !
En finir avec les mages
Les érudits de l’est
Bon, enfilons le monocle de Sherlock Holmes et suivons d’abord les éventuels indices… On peut noter que ces mages étaient dits venir de l’est. Un terme large qui désigne sans doute Perse ou Égypte (à l’est de Bethléem, donc), connues pour les érudits qui y transmettaient la science avancée de l’époque. Ils étaient donc “mages” (ou “magiciens”, selon les traductions), terme qui désignait alors, entre autres, des médecins. Ce qu’on appelle aujourd’hui “magie” (en fait, pratiques magico-religieuses) y faisait entièrement partie des connaissances requises pour être médecin. On entrevoit, éventuellement, des raisons possibles de ce côté-là pour ce choix de deux résines précieuses. Ces supposés visiteurs en auraient très bien connu les usages millénaires, à la fois médicinaux et symboliques.
Astronomes et astrologues
Mage, c’était aussi le nom attribué aux astronomes, et on pense tout de suite à la fameuse étoile que ces trois-là étaient censés avoir repérée. Mais astronomes à l’époque, ça englobait aussi la dimension astrologue. C’est-à-dire celui ou celle qui était capable de lire un destin dans les étoiles et les planètes. Parce que c’était bien ça l’intérêt premier, à ce moment-là. Le contact avec les dieux et arriver à décrypter l’avenir.
Ah ! On commence à dépoussiérer un début de piste sérieuse, mon cher Watson ! Le choix de ces trois symboles leur permettait donc de prédire le destin de l’enfant né dans une étable. Ou de le lui confirmer: après tout, pas besoin de scruter l’horizon, ce destin était déjà annoncé dans les Écritures.
Le mage Zoroastre, ou Zarathoustra,thaumaturge
et astrologue persan du 11e siècle avant J-C.
Une simple confirmation des Écritures
L’or, qui pourrait étonner aux côtés des deux résines, même précieuses, lui confirmait qu’il serait bien le « roi des rois » dont l’arrivée était prédite. L’encens, utilisé dans les temples égyptiens ou perses pour permettre la connexion aux dieux, disait son lien direct avec le Dieu d’Abraham. Mais aussi sa qualité de prêcheur, qui n’aurait pas besoin de temple pour transmettre la parole de celui dont il se dirait le fils. Et enfin la myrrhe, qui annonçait ses souffrances et son sacrifice final ; la myrrhe, qui lui serait proposée sur la croix pour adoucir sa douleur et qu’il refuserait. La myrrhe, qui serait apportée à son tombeau trois jours après la crucifixion par les trois Marie, connues aussi comme les « Porteuses de myrrhe » venues procéder à son embaumement. On entrevoit peut-être une ou deux choses qui peuvent nous intéresser, du côté de l’aromathérapie et aujourd’hui.
Mais dites, Sherlock… ça s’arrête là ? C’est un peu court comme lien avec les huiles essentielles, non ?
Et si on allait plus loin que le bout de notre nez (aromatique) ?
Réfléchissons un instant, cher Watson. Les études les plus récentes sur les termes utilisés dans la Bible ont rectifié et corrigé pas mal d’erreurs dans les traductions des siècles passés. Elles y recensent 45 espèces de plantes. Qu’on est arrivé à identifier et qu’on rattache, en s’appuyant là aussi sur les études les plus récentes, à l’usage médical de ces plantes en Égypte ancienne et en Mésopotamie.
Eurêka ! Le seul intérêt, pour nous dans le monde de l’aromathérapie, de repérer le nom de ces plantes, dont la Bible ne dit absolument rien de l’usage médical, c’est de les lire comme trace, écho de cet usage dans le monde méditerranéen où évoluaient les peuples mis en scène dans ces textes. Et d’aller fouiller de ce côté-là ! Vous la voyez la petite ampoule allumée au-dessus de ma tête?
Déduction logique, il va falloir aller un peu plus loin qu’un événement, aussi marquant soit-il, mentionné une seule fois dans la Bible. On va rarement chercher du côté des sources. Pourtant, elles nous en disent bien plus long que le vénérable ouvrage sur la tradition thérapeutique attachée aux deux résines qui nous intéressent. D’accord, la symbolique est passionnante. Mais encore une fois, elle ne nous intéresse pas beaucoup dans notre pratique aromatique. Sauf, bien sûr, si vous fréquentez assidûment temples ou églises et participez à des embaumements, vos flacons d’HE en poche…
Allez, au revoir les mages, on passe aux choses sérieuses !
Très très intéressant! Mais je continuerai de mettre une couronne sur la tête de mon fils, même si ceux-là n’étaient pas des rois. Et j’adore la myrrhe!!!
C’est très fort cette présentation, je n’avais pas encore vu ça aussi complet. Merci beaucoup, danke schön !
Je m’attendais à parcourir d’un oeil distrait la liste habituelle des propriétés de l’encens et de la myrrhe. Quelle surprise ! Vous, vous savez nous embarquer ! Tout d’un coup j’ai vraiment envie de regarder les résines de plus près. Elles m’ont l’air bien intéressantes en fait. Et puis ce petit vent égyptien en plein hiver ça laisse un peu rêveur…
(pas facile de corriger ce qu’on écrit, c’est normal ?)
Cet article est magnifique, je crois que je n’ai rien lu d’aussi riche et complet sur les sites d’aroma que je lis régulièrement. Je vous remercie vraiment du temps consacré à nous partager, de façon très lisible, votre érudition.
Article très riche, comme chaque fois. Merci.
Article très intéressant, avec des choses que je n’ai pas du tout lues ailleurs. Très agréable et instructif.
Quelle belle publication ! Je viens de découvrir par hasard votre annonce sur facebook. J’ai eu un peu peur que ce soit juste une critique d’autres blogues. Mais pas du tout! On comprend bien que vous avez cherché une réponse à votre question. J’apprends comme ça tout l’intérêt de ce lien, comme vous dites, avec les traditions de la myrrhe et de l’encens. C’est vraiment passionnant. Et ça me donne bien envie d’aller lire vos autres articles. Merci à vous pour toutes ces infos que je ne connaissais pas.
Merci Sonya ! Non en effet, il n’y a aucune critique particulière d’autres blogs, leurs auteur·es y font souvent du très bon boulot 🙂 Mais sur le sujet, en effet, je n’avais trouvé aucune réponse satisfaisante, il fallait que je fouille les éléments que je connais, et ça m’a emmenée assez loin, comme vous le voyez. Tout en me rapprochant, comme je le souhaitais, de l’aromathérapie d’aujourd’hui. Merci pour votre commentaire très sympa ! 🙂