Vous avez peut-être lu ici et là que les huiles essentielles sont utilisées depuis la nuit des temps, notamment en Égypte antique. Même si les procédés de distillation semblent avoir été connus dès 2000 avant JC, il n’existe aucune preuve qu’ils avaient cours dans l’Égypte des pharaons. Il est donc très peu probable que ce que nous, nous appelons huile essentielle ait été utilisé par les anciens Égyptiens.
More...
Naviguer dans l’article
On va aller voir du côté des dernières découvertes en date sur le parfum de Cléopâtre – elles ont l’air de se bousculer un peu en ce moment !
Mais avant, si on se faisait un petit rappel sur ce que fabriquaient les anciens Égyptiens avec les extraits des plantes ? Ça vous dit ? On y va !
1. Les anciens Égyptiens utilisaient-ils des huiles essentielles ?
Il serait sans doute plus exact de dire que les plantes et la matière végétale aromatique ont des usages depuis, sans doute, que les humain·es en ont compris tout l’intérêt. Ça ne date donc pas d’aujourd’hui, même si la plupart redécouvrent un monde des plantes oublié par beaucoup depuis environ un siècle dans nos cultures occidentales.
Pour les anciens Égyptiens, santé et bien-être faisaient partie des préoccupations majeures. La maladie était un combat permanent entre le bien et le mal. Religion, magie et connaissance des herbes médicinales se mêlaient étroitement dans ce combat. Les soins du corps ne se résumaient pas à se préoccuper de son apparence. La cosmétique était plutôt comprise comme cosmétologie. En deux mots, les produits cosmétiques n’étaient pas réservés, comme aujourd’hui, à un aspect esthétique, mais servaient aux soins et à la santé du corps de manière plus large. C’est d’ailleurs un peu ce qui commence à se faire à nouveau, avec l’intérêt grandissant pour les produits naturels, non ?
Usages courants chez les anciens Égyptiens
Les matières végétales précieuses servaient donc à la confection d’huiles parfumées destinées à l’apparat et à la santé. C’est ce qui place les Égyptiens au tout début de l’histoire du parfum. Mais ils en fabriquaient aussi de l'encens à faire brûler, tradition qui remontait déjà à des époques bien plus lointaines, en Égypte comme ailleurs. Encens à vocation religieuse, qui permettait le contact avec les dieux, et accompagnait rites et cérémonies funéraires. Le plus fameux est probablement le kyphi, mentionné sur le célèbre papyrus d’Ebers, représenté sur les murs de plusieurs temples, et cité par tous les érudits grecs s’inspirant des Égyptiens (Galien, Démocrate, Dioscoride, Plutarque, etc.).
La formulation exacte de cet encens mythique n’a pas été reconstituée, mais il contenait environ 16 ingrédients, dont des résines (oliban ou myrrhe…), des herbes (Cyperus rotundus…) et des épices (cannelle…), sur une base de miel ou de vin de raisins. «Galien le prescrivait pour les morsures de serpents, mais Plutarque décrivait les effets spirituels et thérapeutiques de l’inhalation de kyphi, ou même de son ingestion dans du vin.»
2. Provenance et extraction de la matière végétale précieuse
Les extraits végétaux, locaux ou importés
Les témoignages sont nombreux sur l’importance du commerce et de l’utilisation des matières premières des huiles parfumées dans l’Égypte antique. Ces matières précieuses étaient importées par longues caravanes régulières en provenance de Nubie, d’Érythrée, de Somalie, de Syrie-Palestine…
Lise Manniche, égyptologue de renom et grande spécialiste des parfums antiques, résume :
Le parfum en Égypte était à base de graisse, et les ingrédients les plus souvent mentionnés dans les textes sont : encens, myrrhe, cannelle, casse et cardamome. Le parfum avait un rôle important dans le temple et dans les rituels funéraires. En outre, le parfum était un produit de luxe et une marchandise vendue dans le monde méditerranéen.
En ce qui concerne l'encens, les problèmes de traduction rendent difficile la précision : s'agissait-il d'une variété de Boswellia, ou bien comme d'autres l'affirment, de benjoin ? Peut-être les deux…
L. Manniche énumère également de nombreux autres plantes et épices qui faisaient l’objet du même commerce : l’iris, le henné, le genièvre, le lys, la marjolaine, la menthe, le myrte, l’acore, l’herbe de Chypre, le mastic ou lentisque.
Des huiles végétales pour extraire les principes actifs
Les huiles végétales servaient de base pour l’infusion des plantes et épices. Les huiles parfumées ainsi réalisées servaient autant à l’application sur le corps qu’en offrande aux dieux, dont les statues étaient ointes. Elles comprenaient les huiles de sésame, de ricin, de dattier, de moringa, produites localement. Dans une moindre mesure, les huiles d’olive et d’amande (importées de Grèce ou de Crète) et des graisses animales, comme la graisse de bœuf ou de mouton.
Pour recueillir les propriétés des plantes, les Égyptiens utilisaient la macération et l’ébullition, dans des préparations aux mesures très précises, qui s’étalaient sur plusieurs mois. La plupart des auteurs antiques, grecs et romains, qui rédigeaient des instructions sur la réalisation de parfums, s’inspiraient largement de la pratique égyptienne.
Dioscoride, médecin, pharmacologue et botaniste grec du 1er siècle après JC, indiquait que pour réaliser une composition de parfum de lys, il utilisait 1000 lys qu’il faisait macérer pendant 24 heures dans de l’huile de datte. 1000 nouveaux lys étaient ajoutés à l’huile obtenue et filtrée, pour nouvelle macération. Selon lui, plus cette opération était répétée, plus le parfum était fort. (Bon courage si vous avez décidé de préparer un macérât de lys ! :p)
Femmes pressant des fleurs de lys pour en extraire l'essence, dit l'extraction de lirinon
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda
Cléopâtre et le Kosmètikon
On attribue depuis plusieurs siècles à Cléopâtre VII Philopator, pharaonne du royaume d’Égypte et l’une des femmes les plus célèbres de l’Antiquité, la rédaction de deux textes médicaux. L’un des deux, le Kosmètikon, est consacré en grande partie, comme son nom l’indique, au détail de la préparation de cosmétiques.
Les historiens continuent de se chamailler sur le fait que ce traité ait été rédigé par la reine elle-même ou bien par une autre Cléopâtre, nom très courant en Égypte antique, elle-même femme médecin. Un métier très fréquemment exercé par des femmes dans l’Antiquité : je parie qu’à l’époque, contrairement au français du 21e siècle, la langue pratiquée évitait des acrobaties de vocabulaire pour désigner les “femmes médecins” !
Reste que ce traité ne ressemble pas aux livres de préparations cosmétiques d’aujourd’hui. Vous savez, le recueil DIY que vous avez sur l’étagère, là… Les recettes qu’il contient relèvent de la cosmétologie, en lien avec la pharmacologie, et ont une teneur médicale. C’est en tout cas ce dont témoigne Galien, référence incontournable dans l’histoire de la médecine occidentale, qui “se porte parfois garant des recettes qu’il cite”, et affirme “citer littéralement Cléopâtre”. Il la mentionne d’ailleurs au même titre que les autres pharmacologues.
Cléopâtre, une reine savante
Que la reine d’Égypte ait rédigé ou non ce traité, il est attesté qu’elle avait des échanges intenses et d’une haute volée avec les médecins. Les savants arabes de l’époque, qui ont posé les bases de la médecine sur lesquelles s’est appuyé Hippocrate, la tenaient en haute estime intellectuelle. Cléopâtre était d’abord et avant tout « une érudite et une scientifique, une philosophe douée et une chimiste ».
On est bien loin de la créature frivole, la séductrice irrésistible qu’en ont fait les Romains, qui n’ont jamais pu lui pardonner l’attrait qu’elle a exercé sur “leur” Marc Antoine ! Aujourd’hui, l’image populaire reste juste celle de cette séductrice qui a fini par se donner la mort par la morsure de serpents. Merci beaucoup Elizabeth Taylor et les représentations occidentales actuelles de “la femme”, dont la préoccupation principale et prioritaire doit être d'être belle et de plaire aux hommes (agaçant un peu, non ?) !
Ce qu’on sait moins, c’est que cette image vient en droite ligne d’une série de lettres qu’auraient échangées Marc Antoine et Cléopâtre. Fausses lettres écrites par un clerc du début du 17e, qui en disent probablement plus long sur les fantasmes érotiques de ce clerc que sur la vie réelle du couple mythique. Mais ces fausses lettres, et la représentation fantasmée de Cléopâtre, ont laissé d’importantes traces dans l’imaginaire occidental.
Cléopâtre, version égyptienne
Parfums de pharaonnes
Les égyptologues sont passionnés dès qu’il s’agit d’arriver à déterminer la composition du parfum qu’utilisait l’une des reines d’Égypte. Ils s’en préoccupent beaucoup moins à propos des pharaons. Ce qui est vraiment étonnant : les anciens Égyptiens se parfumaient tout autant que les Égyptiennes. Pour les prêtres et magiciens, c’était de toute façon obligatoire avant toute pratique religieuse ou magique. Et pour le commun des mortels égyptiens, cela faisait partie des pratiques de soins corporels habituels comme rituels…
Le baume mortel d’Hatshepsout
En tout cas, les recherches avaient déjà permis d’explorer le contenu d’un flacon appartenant à la grande pharaonne Hatshepsout. Elle est moins connue que Cléopâtre et pourtant, sous son règne, aucun assassinat, de nombreuses réalisations pour le peuple égyptien et une prospérité incontestable. Mais une reine sage, à la forte personnalité et préoccupée du bien-être de ses sujets, ça fait sans doute moins fantasmer qu’une pharaonne réputée pour son charisme et sa séduction. Mais c’est peut-être dû aussi à son charmant beau-fils, Thoutmôsis III, qui s’est appliqué à faire disparaître toute trace de la reine…
Après analyses, le flacon de la reine Hatshepsout, dont on pensait qu’il contenait du parfum, a révélé ses secrets. Il s’agissait en fait d’un onguent pour la peau, à base de dattier et de muscade, destiné à soigner l’eczéma dont souffrait la reine. Et les chercheurs s’interrogent sur une substance également présente dans le mélange et hautement carcinogénique. Cette substance est aujourd’hui utilisée dans certains soins de la peau, mais interdite dans les cosmétiques à cause de cette propriété. La reine Hatshepsout, atteinte de cancer, a-t-elle nourri sa maladie sans le savoir avec cet onguent ?
Le parfum de Cléopâtre
Rien de tel du côté de Cléopâtre, dernière reine d’Égypte. Des archéologues de l’Université d’Hawaii ont tenté récemment de reconstituer son parfum, à partir d’un flacon découvert en 2012, en vue de l’exposition du National Geographic qui a eu lieu en septembre 2019 à Washington.
« Quelle excitation de sentir un parfum que personne n’a senti depuis 2000 ans, et qui peut-être a été porté par Cléopâtre », dit le professeur Robert Littman, l’un des archéologues.
Pour réaliser ce parfum, ils ont travaillé avec des expertes en parfum, et à partir de l’analyse des traces trouvées dans l’amphore et de papyrus mentionnant des formulations de mélanges de myrrhe, de cannelle, de cardamome et d’huile d’olive. Le mélange qu’ils ont obtenu est épais, mais sa fragrance semble beaucoup les séduire.
À sa première rencontre avec Marc Antoine, elle s’empara de son cœur, sur la rivière Cydnus (…)
La barge dans laquelle elle était assise comme en un trône étincelant,
Flamboyait sur l’eau : la poupe était frappée d’or,
Les voiles pourpres et si parfumées que
Les vents en chaviraient d’amour (…)
Shakespeare, Antony & Cleopatra [ma traduction]
Mandy Aftel, grande spécialiste du parfum et référence en la matière, avait elle-même reconstitué un parfum égyptien à partir d’échantillons prélevés sur le masque mortuaire d’une momie. Elle affirme quant à elle que Cléopâtre fabriquait ses propres fragrances, et qu’il est peu probable qu’elle ait porté un parfum utilisé par de nombreuses autres personnes. Ce n’est pas la première tentative de reconstitution, dit-elle, “on a tenté de recréer son parfum, mais je ne crois pas que quiconque sache vraiment ce qu’elle utilisait”.
Ce qui n’empêche pas non plus Guy Erlich, un fermier installé près de la mer Morte, d’assurer qu’il a lui aussi recréé le parfum de la reine ! Il faut dire qu’il est passionné par le sujet : il cultive aujourd’hui environ 60 plantes qui, c’est lui qui l’affirme, étaient cultivées dans les temps bibliques. Il en fait des crèmes et des parfums, que les touristes apprécient. Malheureusement, il ne livre pas le secret de la composition de ce parfum, on n’en saura pas beaucoup plus…
On trouve néanmoins, dans un mémoire rédigé par Anne-Lise Vincent qui traduisait, en 2010, des fragments du Kosmètikon, ce mélange pour savon parfumé attribué à Cléopâtre :
Autre détergent de la reine Cléopâtre coûteux et exhalant une odeur agréable.
Coste, myrrhe, myrrhe troglodyte, iris, fleur de nard, amome, feuille de casse, une once de fleur de jonc, 4 livres de myrobalan, 2 livres d’aphronitre, après avoir haché et tamisé, utilisez. Convient pour l’ensemble du corps.
Quoi qu’il en soit, si vous avez envie de tester un parfum d’Égypte ancienne, rien ne vous empêche de choisir parmi vos huiles essentielles et huiles végétales celles qui correspondent aux fragrances communes dans les parfums égyptiens. Myrrhe, oliban, benjoin, cardamome, cannelle, à vous de jouer avec les senteurs et de trouver les alliances qui vous correspondent le mieux. Qui sait, si votre parfum ne vous donne pas l’érudition et l’intelligence pointue d’une Cléopâtre (allons, vous les avez déjà !), il vous apportera peut-être un petit peu plus de charisme et de séduction ?
J'espère que vous avez eu la chance de passer par Washington en septembre, et que vous n'avez pas manqué l’exposition sur les Reines d’Égypte (pdf de l’expo) où cette reconstitution de parfum était présentée, parmi beaucoup de trésors appartenant à ces époques fascinantes…
Pour en savoir un peu plus sur ce fermier installé près de la Mer Morte, qui cultive oliban et myrrhe… (en anglais).
Citations bibliques : AELF, Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones
Stephen Carpenter et al., The Ebers Papyrus, Bard College, 1998
Edward M. Curtis, Ecclesiastes and Song of Songs, Baker Books, 2013
Amots Dafni, Barbara Böck, Medicinal plants of the Bible–revisited, J. Ethnobiol. Ethnomed., 15, 57, 2019
Peter Holmes, Aromatica, A Clinical Guide to Essential Oil Therapeutics, Vol. I, Singing Dragon, 2016
Maryam Jahandideh et al., A Wound Healing Formulation Based on Iranian Traditional Medicine and Its HPTLC Fingerprint, Iran. J. Pharm. Res., 15 (Supl), 149-157, 2016
Ikhas A. Khan, Ehab A. Abourashed, Leung’s Encyclopedia of Common Natural Ingredients, Wiley, 3rd edition, 2010
Brent Landau, Revelation of the Magi, Deckle Edge, 2010
A. Moussaieff, R. Mechoulam, Boswellia resin: from religious ceremonies to medical uses; a review of in-vitro, in-vivo and clinal trials, J. Pharm. Pharmacol., 61(10):1281-93. doi: 10.1211/jpp/61.10.0003, 2009.
Lytton John Musselman, Figs, Dates, Laurel, and Myrrh, Plants of the Bible and the Quran, Timber Press, 2007 et A Dictionary of Bible Plants,
François Resche, Le Papyrus médical Edwin Smith, Chirurgie et magie en Égypte antique, L’Harmattan, 2016
Alexandra Shedoeva et al., Wound Healing and the Use of Medicinal Plants, Evid. Based Complement Alternat. Med., 2019
Carl H. Von Klein, The Medical Features of the Papyrus Ebers, American Medical Association, 1905
Valerie Ann Worwood, The Complete Book of Essential Oils and Aromatherapy, New World Library, 2016
C’est un beau voyage, j’adore ! Ca fait un peu rêver… merci bien.
Pas facile de savoir quel parfum c’etait on dirait! J’adore! c’est plus clair que « on utilise des he depuis l’antiquité qu’on lit partout 🙂 j’ai regardé un peu le lien de la thèse, fiou pas simple…
Merci Madeline 🙂