“Croire” aux huiles essentielles, une question récurrente
« Tu y crois toi ? » : c’est la question qu’une collègue m’avait posée il y a quelques années, lorsque je lui avais indiqué que pour son zona dont elle n’arrivait pas à se débarrasser, les huiles essentielles pourraient l’aider. Pendant une demie-seconde, j’étais restée sans comprendre à quoi j’étais censée « croire ». Alors aussitôt, je lui avais posé la question en retour : « Comment ça ? Je crois à quoi ? » Parce que les huiles essentielles ne sont pas une religion, pas une croyance, j’avoue que je n’avais pas du tout fait le lien !
Des collègues, des ami·es, des membres de votre famille qui n’y « croient » pas, ou pas trop, vous connaissez sûrement ça aussi. Est-ce que vous tentez de les convaincre ? Personnellement, j’essaie juste d’expliquer. Chacun·e fait comme il ou elle veut, mais parfois, c’est juste une question de manque d’information. Alors voici quelques questions qu’on m’a posées assez souvent, et quelques pistes de réponses brèves qui pourront vous inspirer, si vous voulez informer avec efficacité !
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« C’est quoi en fait, les huiles essentielles ? »
Les huiles essentielles sont le résultat de l’extraction des essences produites par certaines plantes (les plantes aromatiques) par un procédé de distillation à l’eau ou à la vapeur. On les appelle « huiles » parce qu’elles flottent sur l’eau et ne s’y mélangent pas à la manière des huiles végétales. Et elles sont dites « essentielles » parce qu’elles proviennent des essences produites par les plantes. Elles ne correspondent pas exactement à ces essences : l’intervention de la chaleur transforme certaines molécules, et toutes les molécules ne sont pas récupérées. Par ailleurs, lorsque ces essences ne sont pas distillées mais obtenues par pression – pour les zestes de certains fruits par exemple –, on est censé continuer à les appeler « essences » : essence de citron, essence de pamplemousse… Sans le procédé de distillation, pas de modification ou de molécules restées de côté.
« Ça marche comment, les huiles essentielles· ? »
L’inhalation et l’application sur la peau sont les deux principales voies d’action des huiles essentielles.
Lorsqu’on les respire, ce sont d’abord nos récepteurs olfactifs – qui se trouvent principalement dans notre nez, mais pas seulement – qui envoient des messages en direct à notre cerveau. Ces messages sont perçus par notre système limbique, le siège de nos émotions, la base de notre mémoire, qui déclenche une réaction.
Les molécules des huiles essentielles arrivent aussi jusqu’à nos poumons, où elles pénètrent dans le système sanguin.
L’absorption par la peau est moins importante en quantité. La peau est une barrière naturelle qui protège l'ensemble de nos organes, de nos muscles, notre squelette… Mais une petite partie des huiles essentielles arrive à se faufiler jusqu’au système sanguin par ce biais, sans compter que lorsqu’on les applique sur la peau, on les inhale en même temps. C’est aussi la pénétration cutanée qui est exploitée pour les patches contraceptifs par exemple, qui, appliqués sur la peau, diffusent des hormones dans le système sanguin. C’est aussi, autre exemple, le principe du patch de nicotine…
On peut administrer les huiles essentielles par voie orale, vaginale ou rectale, mais cela demande de très bien connaître les huiles essentielles, leurs effets, leurs contre-indications, et les dosages précis et appropriés. La voie orale n’est PAS la première voie recommandée (surtout quand on n’est pas spécialiste), et la dilution dans un corps gras est un impératif dans de nombreux cas.
« Mais c’est scientifique tout ça· ? »
Il faut garder à l’esprit que l’aromathérapie, le soin par les huiles essentielles tel que nous le connaissons aujourd’hui, est une pratique relativement récente : elle n’a pas plus de deux siècles. L’essence des plantes a néanmoins été utilisée au cours des siècles précédant le nôtre, mais n’avait pas toujours la forme actuelle de concentré. La phytothérapie, ou soins par les plantes, se pratique depuis des milliers d’années. L’aromathérapie est une branche de la phytothérapie : une bonne partie de la médecine actuelle est issue de l’utilisation des plantes.
Sur 121 médicaments prescrits dans le monde pour traiter le cancer, 90 sont issus des plantes. (source)
L’artémisine, par exemple, en fait partie. Artemisia annua (absinthe chinoise ou armoise annuelle) est utilisée depuis fort longtemps en Chine. Mais elle n’a attiré l’attention des chercheurs occidentaux que dans les années 80. Et il a fallu attendre de longues années (jusqu’en 2004) pour que le scepticisme face à l’efficacité des traitements traditionnels chinois ne l’empêche plus d’être approuvée par l’Organisation Mondiale de la Santé. Depuis, elle est le traitement le plus efficace contre la malaria et elle a aussi prouvé son utilité dans le traitement de plusieurs cancers et de la schistosomiase (infection parasitaire).
Les études scientifiques sur l’action des huiles essentielles existent et sont très nombreuses. Elles s’affinent de plus en plus aujourd’hui. On connaît bien l’action de composants isolés fréquemment présents dans les huiles essentielles, qui expliquent un certain nombre de leurs propriétés constatées. Ce qu’on connaît moins, mais qui suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs, c’est le mécanisme d’action et d’influence mutuelle de ces composants entre eux dans une huile essentielle complète, et qui lui donne toute sa puissance.
PubMed est un site en ligne qui existe depuis plus de vingt ans et est ouvert au public depuis juin 1997. C’est une base de données de compte rendus d’études scientifiques et médicales. Le site est en anglais, la langue de publication de la recherche scientifique (il recense aussi des études en d’autres langues, bien moins nombreuses). Si vous y recherchez le terme « aromatherapy », il affiche plus de 1 200 résultats. Si vous recherchez « essential oil » et « essential oils » (huile essentielle, singulier et pluriel), il affiche plus de 21 000 résultats. Une seule étude n’est en soi pas suffisante et demande à être confortée par d’autres, mais elle peut ouvrir de très sérieuses pistes.
C’est loin d’être négligeable pour la connaissance des huiles essentielles. Mais ce genre d’études demande du temps et de l’argent. La recherche, dans le domaine thérapeutique, est le plus souvent financée par des laboratoires pharmaceutiques : trouver de nouvelles molécules permet d'investir de nouveaux marchés, et en tirer les bénéfices financiers qui en découlent. Or, les huiles essentielles, issues de la matière vivante, ne peuvent être brevetées : aucun laboratoire ne peut décréter qu’il serait le seul à pouvoir les exploiter, comme c’est le cas pour une molécule à la base d’un médicament. L’intérêt de financer des recherches sur les huiles essentielles, si on ne peut en tirer ensuite un maximum de bénéfice financier, apparaît alors bien moindre… C’est ce qui explique, en partie, pourquoi les études sur un sujet qui intéresse de plus en plus le grand public ne se multiplient pas aussi vite que nécessaire.
La biopiraterie
Les usages traditionnels des plantes se heurtent à certaines pratiques de la médecine occidentale basée sur des brevets. La pratique traditionnelle est ouverte, « open source » avant la lettre, et ses praticiens partagent volontiers leur savoir et leur expérience. Tandis que les systèmes médicaux occidentaux permettent de mettre le savoir sous clé, par des brevets qui ne donnent accès au savoir que contre espèces sonnantes et trébuchantes. Et certains, bien sûr, n’hésitent pas à piocher dans les données ouvertes des médecines traditionnelles pour tenter de se les approprier. On appelle ça de la biopiraterie.
Un cas, notamment, a été mis en avant en 2015, lorsque des universitaires français ont breveté un médicament anticancéreux, le Guieranon B, obtenu à partir de Guiera senegalensis, le guiera du Sénégal. Chercheurs nigériens et malaisiens attestent que cette plante est « bien connu[e] pour le traitement du cancer au Nigéria ». D’autres chercheurs (français, belges et burkinabés) avaient publié, dès 2006, le résultat de leurs recherches sur un autre extrait de la plante, mais sans rien chercher à breveter.
On comprend tout l’intérêt d’un brevet réservé lorsqu’on lit ceci, à propos du cancer du sein qui touche de plus en plus de femmes : « Le marché est en forte croissance avec des ventes globales évaluée à 4,95 Md$ en 2013. »
Voir l’article de Edward Hammond, traduit en français par le Centre Africain pour la Biosécurité, sur Third World Network. C’est assez édifiant…
En 2016, deux instituts de recherche français renonçaient à une demande de brevet dans un contexte similaire d’appropriation des savoirs traditionnels du peuple kanak. Voir ici , là et ici.
« Ça marche et c’est scientifique, mais alors pourquoi les médecins ne prescrivent pas d’huiles essentielles ? »
La réponse est complexe, les raisons sont multiples. Voici quelques pistes de réflexion à ce sujet…
L’étude des effets thérapeutiques des plantes et, par extension, des huiles essentielles, ne fait pas partie du cursus de formation des médecins en France. Contrairement à l’arsenal de médicaments vendus par les laboratoires pharmaceutiques. À moins d’un choix personnel du médecin d‘étudier lui-même ou elle-même le sujet, il ou elle n’est tout simplement pas formé·e à l’usage des plantes dans le soin thérapeutique. La plupart n’entendent d’ailleurs pas parler d’huiles essentielles pendant leur cursus (c’est certainement en cours de changement !).
On peut comparer, et s’interroger sur cette situation, si l’on regarde du côté de l’Afrique du Sud, par exemple, où six des huit institutions de formation médicale enseignent les médecines traditionnelles et complémentaires… L’enseignement et la pratique médicale sont aussi très différents en Inde ou en Chine, par exemple, où plus de 400 plantes sont utilisées dans le cadre des soins thérapeutiques prescrits ou délivrés par des médecins.
Même dans le cas où un·e médecin s’est investi·e dans une formation complémentaire sur le sujet, le système de santé en France est très dépendant de la sécurité sociale. Les traitements basés sur les plantes ou leurs extraits sont rarement remboursés, totalement ou en partie, par la sécurité sociale. Or, c’est souvent ce qui oriente le choix d’un médicament. Ce qui barre la route à l’usage raisonné des huiles essentielles, considérées au mieux comme de simples compléments alimentaires sans qualités thérapeutiques. Au pire, ça renvoie les huiles essentielles (de qualité, bien sûr, prescrites par un·e médecin-aromathérapeute) à des traitements auxquels n’a pas accès une partie de la population.
Quant aux laboratoires pharmaceutiques, je l’ai évoqué plus haut, l’impossibilité de s’assurer le monopole de distribution d’une huile essentielle, et les profits non négligeables qui s’y rattacheraient, ne les encourage certainement pas à soutenir le développement de ce qui vient, de surcroît, concurrencer leurs produits existants.
Le statut pas très clair des huiles essentielles
Les huiles essentielles n’ont donc pas du tout le statut du médicament. Soit elles sont compléments alimentaires, donc, soit « substances chimiques dangereuses ». Ça n'aide pas vraiment à orienter le regard vers leur aspect thérapeutique. Et ils sont encore nombreux ceux qui ne leur reconnaissent pas cette valeur thérapeutique – qu’ils ou elles aient à énoncer de solides arguments ou de simples exclamations éliminatoires du type « tout ça c'est du placebo ». Autant d’embûches qui n'ouvrent pas forcément les portes des cabinets médicaux.
La bonne nouvelle, c’est que les médecines dites alternatives, naturelles ou complémentaires entrent de plus en plus dans les hôpitaux et dans les services de gériatrie, où leurs effets sont dûment constatés au quotidien, le plus souvent à l’initiative des infirmières.
Les nombreux constats de résistance grandissante aux médicaments – notamment aux antibiotiques – poussent la communauté médicale à interroger d’autres pratiques, notamment les utilisations traditionnelles des plantes. D’autant que la demande des patients pour des traitements plus doux et sans les nombreux effets secondaires négatifs des médicaments de synthèse, est également en pleine croissance. À ce stade, on peut espérer que les plantes et leurs huiles essentielles apparaîtront comme une piste valable…
Bon, dites-moi, et vous, vous y croyez maintenant, aux huiles essentielles ? 🙂
Très intéressant ! Il y a ceux qui hésitent à « y croire », mais il y a aussi l’inverse : ceux qui y croient aveuglément. Je veux dire par là qu’en regardant ce qui se passe sur certains forums, ou groupe de réseau social, je suis un peu effrayé parfois : une grosse partie des personnes qui fréquentent ces forums viennent là juste pour demander des « recettes ». En gros, c’est « j’ai tel problème, quelle est la recette que je dois utiliser ? », et les réponses fusent, sans la moindre question pour en savoir plus sur le problème en question. Comme s’il y avait une seule formulation pour un problème : pour l’arthrose, faites ceci, pour l’herpès, faites cela. On s’y intéresse rarement à l’histoire de santé de la personne qui demandait conseil. Or, ça va à l’encontre de toute pratique sérieuse de l’aromathérapie, il me semble. C’est une personne qu’on aide, qui a une histoire particulière, avec les huiles essentielles, pas une maladie ou un symptôme… Et on lit des choses étranges : telle huile essentielle guérit le cancer, etc., et c’est affirmé avec certitude, on cite des études dont on a sûrement lu au moins le titre, mais dont on ne dit rien des conditions de réalisation. Vous savez sûrement que toutes les études publiées n’ont pas la même valeur ni le même objectif… Enfin bon, entre ne pas croire du tout que les HE puissent être une aide réelle et croire qu’une recette toute faite va vous soigner parce que untel ou unetelle vous le dit, pas toujours facile de naviguer !
Merci pour vos articles, je les partage comme je peux, ils sont sérieux à mon avis.
Merci beaucoup pour ce commentaire, Brieg. Tout à fait d’accord avec vous, on passe souvent d’un extrême à l’autre. C’est peut-être pour cette raison que j’ai renoncé à suivre les échanges sur les forums ! 🙂